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Jazz à Thèmes

Texte Chet Baker 1


Au début, il y a un regard brumeux : celui de l'abandon, celui de la révélation. Mais avant, il y a un souffle qui dure, prolongé aux limittes de l'indicible, instable et envahissant, comme une Lune noyée dans un lac d'encre. Et, avant, il y a une ombre qui pourrait prendre des formes diverses selon la perception de chacun. Les contours s'abîment dans la profondeur la plus totale. Puis, avant cela, les astres tournent avec l'énigmatique volonté de conserver un ordre universel. Mais bien avant tout cela, il y a le silence. Tout nait de cette abscence de sons.

La nuit est un début, comme si tout devenait plus tangible. Un visage se découpe, comme de ces bois d'ivoire où naissent, de la main du sculpteur, une bouche, un regard, une expression. De la nuit incomplète et éternelle nait Chet Baker. Il est enfant de la Nux, drappant l'univers, mais son visage, lui, est une lumière. Pas éclatante, mais pénétrante : un éclat de l'ombre. Et cette douceur de teint mêllée à la vacuité de son existence font de lui une créature mi-homme, mi-obscurité, défiant le temps de vouloir l'oublier.

Son sourire, aussi, laissant transparaître l'enfant, le petit garçon, aux portes de pierre de son profil dur. Dur, comme sa gueulle orgueilleuse que l'on rève de cogner, car il a tout et ne sait le garder : le talent, la beauté, les passions, le luxe de s'en moquer et de le croire éternel. Il a l'ascension trop facile, la réussite naturelle et la fausse modestie des petits pour sa stature de géant. 

Comment cet enfant-chéri, choyé de sa maman, abonné aux concours de beauté, idolatré dès ses premières dents, a pu devenir l'icône d'une musique de rues ? Incarnation d'une amérique blanche, né au matin de la Grande Crise, il émigre en Californie, et s'y enracine, et croît sous l'autorité de son père banjoïste et de sa mère-poule.

Le jeune Chesney Harry Baker parle peu mais écoute. Il a des facilités pour tout. Trop petit pour embrasser le trombone à coulisse que lui offre son père, avide de voir son prodige jouer à la Jacky Teagarden, Chet troque l'instrument contre le bignou royal du Swing. Cette trompette qu'il garde sur lui comme un paquet de cigarettes froissé que l'on sort pour se consoler, il l'emporte à l'armée. Enrolé pour mieux s'éloigner du foyer, il apprend à jouer de la musique et de son minois. Et puis, il chante... comme d'autres rêvent.

Ce turbulent gamin, indiscipliné, a de l'or dans son coeur. Il domestique la poésie pour accroitre sa douceur et la voiler de miel. Ses années militaires marquent à jamais son sentiment d'inadaptabilité aux cadres. Il est hors-norme et ne pourra se retrouver qu'avec ses semblables. Sorti du côté ombragé de la rue, il boit un coup avec "Bird", Chicago 1952, et a définitivement bu au calice de la légende.

15/09/13

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